Essayons de comprendre ici comment la rémunération est fixée; sur quelles bases elle est déterminée, de manière à répondre à la problématique qui fait tant de polémiques : « peut-on justifier la rémunération des dirigeants ? ».
La rémunération est corrélée à la performance ?
« Les rémunérations des grands patrons ont connu une hausse continue et forte depuis plusieurs années. Entre 1999 et 2004 la rémunération moyenne globale des dirigeants du CAC 40 a plus que doublé : + 36 % en 2000 ; + 20 % en 2001 ; + 13 % en 2002 ; + 14 % en 2003 et + 10 % en 2004 pour atteindre à cette date un niveau très élevé d’environ 5,6 M€ (2,5 M € de rémunération fixe et 3,1 M € de stocks options). »[1]
La rémunération est la compensation monétaire du salarié/dirigeant pour un service rendu ou pour un travail effectué. Il est donc logique de dire que plus la rémunération est importante, plus la qualité, la performance et l’implication du salarié/dirigeant seront bonnes. Cependant, dans une note[1] de Bernard Maurice, il est dit que « les rémunérations ne sont que faiblement corrélées aux performances des entreprises et des cours de bourse ». Entre 1999 et 2004, les rémunérations ont doublé alors que le cours boursier chutait brusquement avec l’explosion de la bulle internet. Selon une chronique[2], il est même dit que l’accroissement des rémunérations a été supérieur à celui des actionnaires sur la période 2000-2006. Ces faits confirment le fait qu’il n’existe pas de corrélation entre la performance de l’entreprise et les rémunérations des dirigeants ; ou du moins, « l'intensité de la relation entre rémunération et performance y apparaissent positive mais très atténuée »[3]
Du Benchmarking pour rassurer ?
Comment expliquer cette constante hausse des rémunérations des dirigeants s’il n’y a pas de performance ? Ceci serait du au fait que les entreprises doivent désormais, et ce depuis 2001 avec la loi « NRE », présenter la rémunération de ses dirigeants. La transparence de l’information est essentielle pour un marché qui se veut efficient. Selon Claude Lamoureux, « la publication de ces renseignements a tendance à faire grimper les niveaux de rémunération ». En effet, « aucun dirigeant ne veut sembler être sous-payé par rapport à ses homologues ». La rémunération s’aligne donc par rapport à celle pratiquée par les autres sociétés. Elle fait donc du benchmarking. Si l’entreprise ne le fait pas, le marché pourrait perdre confiance en elle. Une bonne rémunération représente implicitement la confiance accordée au dirigeant par le conseil d’administration. C’est pour cette raison que les entreprises cherchent à être au dessus de la moyenne, faisant augmenter sans cesse les rémunérations.
La théorie de la classe de loisir
« Les investisseurs sont incapables d’établir le lien exact entre le travail du dirigeant et la rémunération juste pour le récompenser ». La théorie de la classe de loisir pourrait être une explication à la hausse de la rémunération des dirigeants. « Lorsqu’on ne peut pas établir la valeur pratique d’un bien, on préfère bizarrement le payer cher, parce que le prix élevé rassure sur son usage. »[2] La rémunération rassurerait donc les actionnaires et par conséquent le marché et ses investisseurs. Une entreprise qui paye un dirigeant très cher est donc une entreprise qui possède l’un des meilleurs dirigeants. S’il n’est pas bien payé, c’est que le marché n’en veut pas, car il doute des talents du dirigeant. C’est le point de vue du marché si l’on s’en tient aux réflexions données par les différents articles cités.
Influence de l'information sur la rémunération ?
Est-ce que la publication des rémunérations est un effet accélérateur de l’inflation des salaires ? Cette question posée par M. Lamoureux lors d’un colloque sur la rémunération des dirigeants à Toronto, le 15 novembre 2002, nous permet de mieux comprendre les enjeux de la rémunération. En effet, sans réglementation, il est possible que les dirigeants auraient chercher à obtenir davantage. L’information sur la rémunération étant inaccessible pour le marché, seuls les conseillers en rémunération possédaient ces renseignements exclusifs. Avec la publication obligatoire des rémunérations des dirigeants des sociétés cotées, la balance est plus équilibrée. Les actionnaires ont donc plus d’informations disponibles quant à la direction de l’entreprise.
La confiance des actionnaires est essentielle pour une société cotée. Son dirigeant doit être qualifié (expérience, connaissance du marché et de l’entreprise) afin que les investisseurs puissent avoir confiance dans sa gestion de l’entreprise. Sa rémunération sera donc importante, mais cela n’explique encore pas tout. D’autres critères rentrent en compte comme la taille de l’entreprise, le secteur d’activité ou bien encore la composition de l’actionnariat. Ils permettent de mieux expliquer les différences de rémunération. De plus, nous pouvons dire que l’ancienneté du dirigeant dans son poste lui permettra de forger le conseil d’administration selon ses besoins. Il peut également être proche des actionnaires qui contrôlent le capital de l’entreprise. Tous ces critères peuvent expliquer cette différence de rémunération qui existe dans les grandes entreprises cotées.
Un Benchmarking avec des conditions différentes
Cependant, l’idée que les français copient le système de rémunération des anglo-saxons est quelque peu trompeuse puisqu’ils n’ont pas les mêmes risques. En France, les dirigeants font face à un risque faible de se faire renvoyer par ses actionnaires. Ce cas est très rare et il n’est pas dans la culture nationale. De plus, « les patrons français sont nettement moins exposés que leurs homologues américains au risque de poursuites judiciaires engageant leur responsabilité personnelle, civile ou pénale »[4]. Le système de rémunération des dirigeants français est donc copié sur le modèle anglo-saxons alors que les conditions de marché sont différentes. Il n’y a pas donc lieu de reproduire ce modèle en France.
Les éléments de base de la rémunération des dirigeants
On peut donc voir que les conditions de rémunérations ne sont pas claires et que les comités de rémunération n’ont pas tous les mêmes critères. Cependant, nous pouvons retenir ces éléments qui constituent la base du salaire perçu par les dirigeants :
- Les compétences du dirigeant (son expérience, son ancienneté au sein de l’entreprise, son rapport privilégié avec les actionnaires qui contrôlent le capital, ca capacité à modeler le conseil d’administration, capacité à créer de la valeur pour l’entreprise…)
- Le secteur de l’entreprise
- La taille de l’entreprise
- La rémunération moyenne donnée aux dirigeants des autres entreprises (benchmarking)
- Les risques encourus par le dirigeant
- La volonté des actionnaires d’avoir un dirigeant bien payé (et donc compétent)
La rémunération ne cesse de croître car...
Un dernier point reste important à soulever. « Dans la mesure où la qualité du travail d'un employé affecte celle de tous ceux qui lui sont subordonnés, on peut déduire que pour des raisons incitatives le salaire d'un dirigeant doit croître avec le nombre d'employés de l'entreprise, soit, dans une structure pyramidale, avec le nombre de niveaux hiérarchiques et la taille de l'entreprise ». Ceci expliquerait pourquoi la rémunération des dirigeants ne cesse de croître. La rémunération des dirigeants, quelle qu’elle soit, contribue à rassurer le marché (les actionnaires et autres investisseurs). De plus, elle permet « une amélioration des performances des firmes et favorisent la politique de recrutement, de motivation et de fidélisation des dirigeants »[5]. Un climat de confiance doit être installé afin que le dirigeant puisse mettre en œuvre sa stratégie afin de créer de la valeur pour l’entreprise et ses actionnaires. La remise en question des qualités du dirigeant ralentirait cette création de valeur attendue (à moyen-long terme pour les dirigeants et à court terme pour les actionnaires). De plus, la polémique étant tellement grande sur les salaires des dirigeants qu’il peut constituer un moyen de communication utile et profitable pour les entreprises si le dirigeant perçoit une bonne compensation monétaire.
Sources:
[1]« Des règles pour la rémunération des dirigeants des grandes entreprises » par Bernard Maurice, de la fondation Terra Nova, parue le 03/10/2008
[2] « La rémunération des dirigeants obéit aux règles du marché du luxe » par Pierre-Yves Gomez, dans Le Monde, 28/10/08
[3]« La rémunération des dirigeants et des administrateurs » par Bertrand Moingeon, pour HEC Paris
[4] « Des règles pour la rémunération des dirigeants des grandes entreprises » par Bernard Maurice, de la fondation Terra Nova, parue le 03/10/2008
[5]« La rémunération des dirigeants sous forme d'actions et de stock-options » par Philippe Desbrières, Professeur à l'IAE de Dijon
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